av.Marcel DINAHET Esthétique de l' irreprésentable


Davantage connu pour ses oeuvres privilégiant le médium vidéo, Marcel Dinahet vient de présenter à la Ménagerie de Verre, puis au Triangle à Rennes, une installation vidéo (entièrement silencieuse) accueillant cinq danseurs pour une performance baptisée Les Danseurs immobiles.

Biographie : Né en 1943, Marcel Dinahet vit à Rennes et sur le littoral. Fidèle à ses attaches, il est présent dès 1983 avec une exposition de ses oeuvres à la maison de la Culture de Rennes, tout en participant à deux manifestations organisées dans le cadre de la mission Arts Plastiques des Côtes d'Armor : Flux, Reflux en 1990 (à la Pointe du Dourven et Imagerie de Lannion) et Escales (invitation de Jérôme Sans) en 1991. Dès 1995 il engage une collaboration avec la galerie Le Sous-sol à Paris, que dirige Yvon Nouzille. Ses oeuvres naviguent depuis entre le Musée d'histoire naturelle de Lisbonne (1996), les Cornouailles (à la Newlyn Art Gallery en 1998), Amsterdam, Moscou, Kaliningrad, Rotterdam, Quimper, au Quartier, avec l'exposition Périples (2001), au Frac des Pays de la Loire (2002) ou encore à Paris (Ecole nationale supérieure des beaux-arts) et en Suisse, avec l'exposition Densité +_0.

Loin d'être réductible à la catégorie d'artiste vidéaste, tout comme à celle d'artiste intervenant en milieu naturel, la démarche de Marcel Dinahet serait plutôt celle d'un arpenteur confiant à sa ca-méra le soin d'explorer la face cachée du familier - « son » familier devrait-on dire : le littoral, lequel constitue son cadre de vie et de travail. Il en résulte des captures d'images qui ont pour noms Paysages frottés, Flottaisons, Finistères, fruits parfois de mini-actions ou de grandes entreprises (selon qu'il s'agit de rallier certaines extrémités côtières). Les jeux de perception mis en oeuvre (balayages, attention portée sur ces zones-limites qu'offre la surface de l'eau) pourraient les apparenter à une pratique expérimentale. Le propre de ce travail tient à sa dimension exploratrice, au sens large. L'immersion à laquelle il nous convie s'inscrit bien sûr, aussi, dans la métaphore de l'inconscient que constitue la mer, faisant de cette approche une démarche autant physique qu'existentielle. Evo-quant le « conditionnement physiologique » de la manière de l'artiste, Cioran définit au passage le style à la fois comme un masque et comme un aveu. Chez Marcel Dinahet, nul style affirmé de façon péremptoire - ni masque ni aveu, donc -, mais une plongée bien réelle qui conditionne son travail, ou mieux, l'énonce formellement. Celle-ci interroge, à travers les processus de transformation engendrés par la mer, mais aussi les notions de frontière, de frange, d'horizon, de flottaison qui lui sont propres, son rapport singulier à un réel perçu comme fluctuant, instable, mouvant, changeant. Soit autant de façons d'approcher à l'irreprésentable.

P. B.

Entretien : Votre dernière installation vidéo/performance, Les Danseurs immobiles, prolonge l'intérêt, voire l'obsession de votre travail pour le littoral et ses lisières, tout en témoignant d'une nouvelle inflexion avec l'introduction de corps en interaction avec l'eau. Comment est né votre désir de travailler avec des danseurs statiques ?
« J'ai toujours été frappé par la maîtrise de l'espace qu'avaient les danseurs. J'ai voulu faire l'expérience de ce sens de la spatialisation, perceptible pour moi jusque dans l'immobilité.
De ce constat est née l'idée de leur demander de prendre une position statique dans l'eau.
J'ai simplement tenté de donner une idée du corps du danseur à partir de cette situation : figés dans l'immobilité la plus totale face à l'objectif de la caméra, filmé en mode portrait, le corps immergé en état d'apesanteur.
J'ai vite été impressionné par le danseur statique, sa concentration intérieure, son aptitude à la transmettre.
Il y a quelques années de cela, des expériences d'immobilité avaient été réalisées par Mickaël Phelippeau, Maud le Pladec et Thyphaine Heissat dans des vitrines à Rennes. La qualité particulière de l'immobilité du danseur n'est pas dissociable de son expérience du mouvement.

Pouvez-vous évoquer le principe de la performance et son interaction avec les images ?
« J'ai d'abord réalisé des “portraits” de danseurs dans une piscine, à Rennes. J'ai ensuite conçu l'installation de ces vidéos dans l'espace. Puis, j'ai convié certains des danseurs filmés à venir à la Ménagerie de Verre, puis au Triangle, à Rennes. Je leur ai demandé de se positionner dans l'installation, de rester là immobile au milieu du dispositif. Dans cette performance, les danseurs - ils sont au maximum cinq(1) - agissent dans l'espace en se plaçant. Ils peuvent décider de se mettre dans le champ ou hors des projections vidéos. La performance dure trois heures, mais les danseurs peuvent toutefois sortir du dispositif pour se replacer ensuite. Chaque placement des danseurs redéfinit une nouvelle approche de l'espace de l'installation. Leur immobilité est la base de l'intervention. Les seuls mouvements perceptibles sont ceux du niveau de l'eau de la piscine sur les visages. C'est cela qui m'intéresse : leur capacité à refaçonner l'espace, le redistribuer, le rejouer en quelque sorte à partir de micro-événements venant se greffer sur leurs propres images vidéo qui ont été précédemment filmées.

Jusqu'à présent, le corps se donnait à lire essentiellement en creux dans vos vidéos ; quasiment absent visuellement de l'écran, il n'en était pas moins une présence active, sonore, amplifiant l'image (je songe à la vidéo Basse-marée, scandée des trépidations de la course et des mouvements de la marche, ou au son de la respiration du plongeur muni de bouteilles dans la vidéo Le Container, installée dans un container dans lequel pénétrait le visiteur). Il ne semble plus s'agir du corps émetteur, mais davantage du corps conçu comme une surface de contact...
« Dans la première vidéo que vous évoquez, je me trouve à marée basse dans la Baie du Mont Saint-Michel au plus bas de l'eau, très loin de la côte, environné de bouchots. Cet espace n'est à découvert, à l'air libre, que très peu de temps, environ une heure. La densité de tous les éléments en jeu est très particulière, le corps devient alors comme une surface de contact. Il s'agit d'une action très courte, improvisée sur place, suscitée par ce rapport précis du corps à l'espace. La plus grande partie de mes vidéos est constituée de plans séquences. L'action de filmer est très courte. Quand je filme Paysage frotté, je tourne sur moi-même jusqu'au moment où je perds l'équilibre. Sur Les Bords de la Loire, je cours sur la plage jusqu'à la limite physique de l'action. Là, toutes les parties du corps in-terviennent, elles ont une incidence sur l'image filmée.
Si mon pied glisse, l'image glisse. Si, en plongée, je touche une roche, cet accident intervient dans la perception de l'espace rendue par l'image. Tout comme le son de ma respiration fournit d'autres informations sur mes déplacements. Mon rapport au sol, à sa matière, mon rapport à l'air, à sa densité, mon rapport physique à l'eau en plon- gée sont des données qui sont toujours présentes dans ces actions.

Propos recueillis par Patricia Brignone.

1. Les danseurs participants sont : Fabienne Compet, Katja Fleig, Maud le Pladec, Mickaël Phelippeau, Julien Jeanne, Typhaine Heissat, Thierry Micouin, Carole Perdereau, Pedro Rosa et Alessandra Picolli.




Patricia BRIGNONE Publié le 20-06-2006 RETOUR>>>>>>

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